Un tattoo pour Laura

La clope au bec, je marche dans les rues de Paris. Une nouvelle journée commence. Mon cerveau tente de me rappeler quel client j’ai en premier, je ne me souviens même plus de l’heure. Peut-être que je suis en retard. Je me suis mis minable hier soir et ça a tardé, jusque dans la nuit. Mais faut pas s’inquiéter, je suis clean, hein, c’est juste que j’ai un peu mal aux cheveux. Je regarde mon téléphone, tout en marchant, tout en soufflant la fumée cancérigène. Ah, c’est Laura. Oh, ça va, je suis pas en retard. Je ne suis pas en avance non plus, je vais arriver juste à temps. Un bon café en plus et je serais paré pour débuter la journée.

D’ailleurs, je ne tarde pas à arriver au Tapir. Je reste quelques instants dehors, le temps de finir la clope et de balancer le mégot dans l’égout. Je discute en même temps deux minutes, simplement avec les clients à l’extérieur qui passent souvent au café avant de commencer leur journée à eux, non loin d’ici. Y’a des rituels. Le leur, c’est un café chez Marcel. Moi, c’est un café chez Marcel. On prend tous des cafés chez Marcel. Bref, je les salue avant d’entrer. Je vais jusqu’au bar, commande un café, serré, sans sucre, sans rien d’autre que du café. Pour un peu, on pourrait faire tenir une cuillère à la verticale tellement y’a plus de café que d’eau là-dedans. Mais j’ai besoin d’un truc qui réveille.

Tasse dans la main, je vais jusqu’à la partie que ledit Marcel me loue (click). Je ne sais pas trop comment on pourrait appeler ça… Un coin ? Un salon ? Un studio ? Un boudoir… Ouai, j’ai appris ce mot y’a pas longtemps… Un boudoir… ça fait prout-prout, non ? Bah, je le trouve marrant… Enfin bon. Je repousse le rideau pour entrer, oui, y’a pas de porte, parce que, c’est l’esprit même du café, techniquement, tout le monde devrait pouvoir y avoir accès. Y’a que les trucs qui ont vraiment de la valeur qui sont enfermés dans le petit meuble près du bureau. Je prépare le siège et le dermographe, les stencils. Bref, tout pour un bon tatouage. Et ce n’est que quand je suis sur que tout est prêt que je retourne dans le café à la recherche de Laura.

- Hey, jolie toi, tu viens ? Je retourne sur le tabouret roulant, avale presque la moitié du café brulant, j’en ai vraiment besoin avant de sourire à Laura alors qu’elle entre. Prête ? J’indique le siège pour qu’elle y prenne place. T’as pas changé d’avis, tu veux toujours le tatouage bracelet?

Un tattoo pour Laura

Je n’arrive toujours pas à croire, même après plusieurs années, que je suis là, dans ce petit coin qui est… A MOI. Si on m’avait dit, gamin que je serais tatoueur, et à Paris, jamais je n’aurai cru… Mais pourtant, c’est bien ça. Je ne suis pas riche, même le contraire, parce que Paris est chère et que j’ai des dépenses un peu extraordinaires, mais ouai, j’en suis fier de ce petit bout de pièce. C’est vraiment pas grand, mais j’ai jamais voulu avoir un truc immense. Juste assez pour me faire de la thune et payer ma bouffe, c’est tout ce que je demande. Et j’en suis bien content. Alors quand Laura entre, c’est toujours avec fierté que je regarde les clients, pour voir leur réaction. Même ceux qui viennent depuis longtemps, depuis le début, depuis que je suis ici. Parce que ce coin-là, il est A MOI. Oui, j’aime le dire, j’aime le ressentir. Finalement, je m’assois sur le tabouret à roulette et la laisse s’installer dans le fauteuil du supplicié. Cela fait quelques temps que l’on met au point son futur tatouage. Mais je préfère toujours demander, il y en a, qui, le jour de l’échéance change complètement d’avis.

- Ah oui ? Je prends une expression faussement surprise et m’approche comme pour soulever la manche pour justement tatouer cette danseuse de cabaret immédiatement. Une pin-up là, oh oui, j’aime bien. C’est parti ! Je lui souris avant de nier du chef. Nan, mais y’en a qui change d’avis. Moi, je ne suis que le tortionnaire. Le client est roi. Enfin, dans ton cas, c’est la cliente est reine. J’ai jamais vraiment compris pourquoi il y avait un féminin et un masculin dans la langue française, mais bon, là, n’est pas la question. C’est donc parti pour le bracelet.

Je vais farfouiller dans mes stencils pour trouver ledit bracelet. Oui, c’est un peu le basard chez moi, mais comme on dit, « on reconnait un génie par son bordel ». Et je suis un peu bordélique, j’avoue. Bref, je m’assure que c’est bien tout le dessin que je voulais. Comme il s’agit d’un bracelet faisant le tour de son poignet, il a fallu faire plusieurs dessins. Et on va voir quand on l’appliquera si j’ai bien dessiné… Je prépare la peau pour que rien ne vienne gêner les aiguilles. Et je lui demande de se redresser. Il ne faut pas que la peau soit pliée ou quoi que ce soit pour que cela déforme le dessin. Une fois prête et prêt, je m’assure de poser le stencil exactement là où le tatouage sera le plus joli. J’ai ma tête de concentré et ce n’est que lorsque je retire le calque et vois l’encre violette sur la peau que je souris, me redressant.

- T’en penses quoi ? … Y’a juste un tout petit raccord à faire, là, mais ça ne gêne pas pour le tatouage. Y’a un peu d’encre là, mais c’est le deuxième stencil appliqué, c’est pas pour le tatouage. Adjugé, vendu ? Dernière ligne droite ?